Brian L. Bourdeau, J. Joseph Cronin, Clay M. Voorhees – Journal of Retailing and Consumer Services, 2024, Fiche de lecture par : Emma Landois
Sujet / Contexte
Cet article revisite la notion de fidélité client en marketing en proposant une conceptualisation en quatre phases permettant de mieux comprendre et mesurer ce phénomène.
Il s’appuie sur les travaux de référence d’Oliver (1999) pour structurer la fidélité en un processus graduel :
- Cognitive (basée sur la connaissance),
- Affective (liée à l’émotion),
- Conative (engagement d’intention),
- Active (engagement dans l’action).
Cette approche vise à dépasser les limites des modèles antérieurs, souvent centrés uniquement sur les intentions d’achat ou la satisfaction, en reconnaissant la progressivité de la fidélisation. Les auteurs examinent également l’impact de ces phases sur deux comportements clés : le bouche-à-oreille (advocacy) et la part de portefeuille.
L’étude s’inscrit dans une volonté d’opérationnaliser la fidélité client dans des secteurs de services, en testant un modèle applicable à différents contextes de consommation.
Question de recherche
La recherche s’organise autour de la question suivante :
Comment les différentes phases du processus de fidélité influencent-elles le bouche-à-oreille et la part de portefeuille ?
Les auteurs cherchent à :
- Valider un modèle de mesure à quatre phases de la fidélité ;
- Évaluer l’effet spécifique de chaque phase sur des comportements de fidélité observables ;
- Étudier le rôle modérateur de la conscience de la valeur, c’est-à-dire la sensibilité des clients au rapport qualité-prix.
Méthodologie
Les auteurs ont mené deux enquêtes quantitatives auprès de consommateurs :
- 206 participants dans le secteur des salons de coiffure ;
- 202 participants dans le secteur du commerce de détail.
Les répondants devaient avoir eu une expérience d’achat récente (dans les six mois) et représentaient un échantillon démographiquement diversifié. Chaque phase de la fidélité a été mesurée à partir de questions spécifiques portant sur :
- La perception des attributs du service (fidélité cognitive),
- L’attachement émotionnel (affective),
- L’intention d’achat répétée (conative),
- L’engagement actif (active).
Les comportements étudiés étaient le bouche-à-oreille positif et la part de portefeuille. Un modérateur a été intégré : la conscience de la valeur, mesurant la tendance des clients à rechercher de meilleures offres.
L’analyse statistique repose sur des régressions linéaires et modérées pour estimer l’impact de chaque phase sur les comportements, ainsi que l’influence du modérateur.
Principaux résultats
L’étude confirme que la fidélité client est un processus progressif en quatre phases, chaque étape ayant un impact différencié sur les comportements visés :
- Bouche-à-oreille :
> La fidélité affective et conative renforcent davantage le bouche-à-oreille que la fidélité cognitive.
> C’est la fidélité active qui a l’effet le plus fort, car elle reflète un engagement assez profond pour inciter les clients à recommander activement, même en cas de risque personnel (réputation, confiance).
- Part de portefeuille :
> La fidélité affective et conative augmentent la part de portefeuille, mais leur impact reste limité par rapport à la fidélité active.
> Dans le secteur des salons de coiffure, les trois phases (affective, conative et active) ont un effet significatif.
> Dans le commerce de détail, seule la fidélité active est déterminante.
- Modération par la conscience de la valeur :
> Les clients ayant une forte conscience de la valeur sont moins susceptibles de rester fidèles durant les phases cognitives, affectives et conatives.
> En revanche, la fidélité active n’est pas affectée par cette variable, montrant que cette phase génère un engagement stable, même face à des offres concurrentes.
Implications managériales
Les conclusions de cette étude permettent de formuler plusieurs recommandations pour les praticiens du marketing :
- Favoriser l’accès à la fidélité active :
- Cette phase est la plus engageante et rentable. Elle doit être soutenue par des expériences clients fortes, des programmes de fidélité solides et un renforcement émotionnel de la relation client.
- Segmenter selon la phase de fidélité :
- Une analyse fine des profils clients permet de mieux adapter les leviers d’action.
- Par exemple, les clients en phase cognitive ou affective peuvent être stimulés par des offres promotionnelles ; ceux en phase active peuvent devenir de véritables ambassadeurs de la marque.
- Prendre en compte la sensibilité au prix :
- Les consommateurs attentifs au rapport qualité-prix sont plus volatils, même s’ils semblent fidèles.
- Les entreprises doivent équilibrer les incitations tarifaires avec des avantages exclusifs ou des bénéfices relationnels pour favoriser leur passage à la fidélité active.
Limites
Les auteurs reconnaissent plusieurs limites à leur travail :
- Secteurs étudiés limités : Les résultats sont issus de deux contextes spécifiques (coiffure, retail), ce qui limite leur généralisation à d’autres secteurs, notamment ceux impliquant des achats plus complexes ou ponctuels.
- Méthodologie transversale : L’étude repose sur des données collectées à un moment donné, sans suivi dans le temps. Une étude longitudinale serait nécessaire pour valider l’évolution réelle des phases de fidélité.
- Variables contextuelles non intégrées : Des éléments tels que la qualité perçue, les alternatives disponibles, ou la satisfaction à long terme ne sont pas inclus mais pourraient moduler les effets observés.
En conclusion, cette recherche propose une vision structurée et dynamique de la fidélité client, en l’analysant comme un processus évolutif. Elle met en évidence l’importance de cibler spécifiquement chaque phase pour favoriser des comportements bénéfiques, et rappelle que seule la fidélité active permet de résister véritablement aux forces concurrentielles du marché.
