Marcel Goić, Ricardo Montoya, Isamar Troncoso – Breakage Analysis for Profitability Management in High-Value, LowFrequency Loyalty Programs, (2024). International Journal of Marketing Research 2024, Fiche de lecture par Inès Ghesquieres
Sujet / Contexte
Dans un contexte où les programmes de fidélité sont devenus des outils incontournables pour renforcer la rétention client, les auteurs examinent des programmes spécifiques : les programmes de fidélité à haute valeur ajoutée mais à faible fréquence d’usage (High-Value, Low-Frequency – HVLF). Ces programmes sont caractérisés par des transactions rares mais de grande valeur (par exemple, billets d’avion, hôtels de luxe) et présentent des défis particuliers liés à la gestion de la rentabilité sur le long terme. Dans ces programmes, les points non utilisés par les clients constituent une charge financière pour l’entreprise. L’article se concentre sur la gestion du breakage, c’est-à-dire le pourcentage de points qui expirent sans être utilisés, car cette mesure impacte directement les résultats financiers de l’entreprise. Les auteurs proposent une approche innovante pour estimer le breakage, en prenant en compte les comportements d’achat et de rachat des clients dans le but d’optimiser les décisions stratégiques des gestionnaires de programmes de fidélité.
Question de recherche
La question centrale de l’article est double :
Premièrement, on se demande comment les politiques d’expiration des points affectent-elles les comportements de rachat et d’achat des clients dans les programmes de fidélité HVLF ?
Ensuite, les auteurs se demandent comment les entreprises peuvent-elles estimer et gérer efficacement le taux de breakage pour maintenir la rentabilité de ces programmes sur le long terme ?
Pour répondre à ces questions, les auteurs visent à combler un manque dans la littérature : les effets de long terme des politiques d’expiration dans les programmes de fidélité. En particulier, ils explorent la façon dont les politiques de gestion des points expirés influencent la satisfaction et l’engagement des clients, ainsi que la performance financière du programme.
Méthodologie
L’approche méthodologique repose sur une modélisation économétrique avancée qui combine segmentation client, modélisation des décisions d’achat et de rachat, et modélisation dynamique individuelle des points :
Segmentation des clients : Les auteurs classifient les clients en segments basés sur leurs comportements d’accumulation et de rachat de points, distinguant ainsi les clients actifs de ceux qui sont moins engagés. Cette segmentation fine permet d’adapter les prédictions aux comportements spécifiques de chaque groupe de clients.
Modélisation des comportements d’achat et de rachat : En utilisant un modèle de sélection de Heckman, les auteurs intègrent des facteurs comme les points expirants, les achats antérieurs, les rachats précédents et l’ancienneté dans le programme, ce qui permet de capturer des interactions complexes entre les décisions d’achat, de rachat, et l’effet de l’expiration des points.
Modélisation dynamique des points : Les auteurs suivent l’évolution des points de chaque client en fonction du temps restant avant leur expiration. Ce modèle permet de simuler des scénarios de rachat et d’expiration à long terme, fournissant une estimation du breakage pour chaque segment de clients.
Cette approche est appliquée à un cas concret : le programme de fidélité d’une compagnie aérienne régionale. L’étude utilise un échantillon de 95 148 membres, offrant une perspective représentative des comportements client dans un contexte HVLF.
Principaux résultats
Les résultats montrent des variations significatives dans les taux de breakage entre segments de clients et révèlent des dynamiques intéressantes :
Taux de Breakage : La nouvelle méthodologie d’estimation du breakage permet des prévisions plus précises que les méthodes classiques (basées sur les historiques d’expiration et de non-rachats). Par exemple, les segments les moins actifs présentent des taux de breakage élevés (jusqu’à 93 %), alors que les clients actifs accumulent et utilisent régulièrement leurs points, maintenant un breakage proche de zéro.
Effet de l’expiration des points : Les points proches de l’expiration stimulent les rachats à court terme, créant une “pression des points” qui incite les clients à utiliser leurs points avant qu’ils n’expirent. Cependant, l’expiration définitive des points a un effet inverse, en réduisant l’engagement client et les achats futurs.
Inélasticité des Stratégies de Promotion : Les interventions visant à stimuler les rachats (ex. : incitations ponctuelles) ont un effet limité sur la réduction du breakage, suggérant une certaine inélasticité du taux de breakage aux changements de comportement à court terme. En revanche, des modifications structurelles comme l’extension de la durée de vie des points sont plus efficaces pour influencer durablement le breakage.
Implications managériales
Les implications pour les gestionnaires de programmes de fidélité sont multiples et stratégiquement importantes :
Optimisation des Passifs Financiers : En calculant précisément le taux de breakage, les gestionnaires peuvent ajuster les estimations de passif et ainsi mieux gérer la rentabilité des programmes de fidélité. Par exemple, encourager des rachats plus fréquents peut être plus bénéfique que d’offrir des récompenses nécessitant davantage de points.
Stratégies de Segmentation et Personnalisation : La segmentation des clients selon leur comportement permet de cibler spécifiquement les segments les plus susceptibles de générer un breakage élevé. Les gestionnaires pourraient concentrer leurs efforts sur les clients moins actifs (qui génèrent des passifs élevés) avec des incitations adaptées pour réduire le breakage.
Politiques de Durée de Vie des Points : Une extension de la durée de validité des points peut limiter le breakage en renforçant la satisfaction et la fidélité des clients, tandis qu’une réduction de cette durée peut être utilisée pour inciter à des rachats plus rapides, selon les objectifs de l’entreprise.
Limites et perspectives
Bien que cette étude propose une avancée méthodologique significative, elle présente quelques limites :
Premièrement, le modèle est appliqué à une compagnie aérienne régionale, un secteur typiquement HVLF. Bien qu’il soit potentiellement généralisable, il pourrait nécessiter des ajustements pour d’autres types de programmes de fidélité (par exemple, ceux de haute fréquence et faible valeur comme les programmes de grande distribution). De plus, les comportements stratégiques de certains clients (qui adaptent leur utilisation des points en fonction des incitations) ne sont pas intégrés dans le modèle, ce qui pourrait limiter la précision des prévisions de comportement. Enfin, les auteurs soulignent que certaines interventions pour influencer le taux de breakage, comme l’extension de la durée de vie des points ou des campagnes de marketing ciblées, nécessitent des investissements. Intégrer les coûts des interventions dans la gestion du programme pourrait optimiser davantage la rentabilité globale.
Conclusions et axes futurs de recherche
Cet article apporte une contribution importante à la littérature sur les programmes de fidélité, en particulier pour les secteurs HVLF où les enjeux financiers liés à l’expiration des points sont considérables. En offrant une méthode pour estimer et gérer le breakage de manière plus précise, l’étude ouvre la voie à des pratiques de gestion mieux informées et plus ciblées. Pour les recherches futures, les auteurs suggèrent d’intégrer les comportements stratégiques des clients ainsi que des analyses de coût-efficacité pour les interventions marketing, afin d’optimiser les décisions managériales.

