So Yeon Chun ; Rebecca W. Hamilton – Paying with Money or Paying with Points: How Variable Versus Fixed Exchange Rates Influence Loyalty Point Redemption, (2024). Journal of Marketing Research 2024, Vol. 61(5) 858-871, Fiche de lecture par Inès Ghesquieres
Sujet/Contexte
L’article de So Yeon Chun et Rebecca W. Hamilton examine un aspect peu étudié des programmes de fidélité : l’impact de la stabilité du taux de change entre points de fidélité et argent sur le comportement de rédemption des consommateurs. Aujourd’hui, les programmes de fidélité sont omniprésents dans des secteurs comme le transport aérien, l’hôtellerie, et le commerce de détail, et ils représentent une part essentielle des stratégies de fidélisation des entreprises. Par exemple, en 2021, le programme Hilton Honors comptait 128 millions de membres, témoignant de l’ampleur de ces dispositifs.
Traditionnellement, les recherches se sont concentrées sur la manière dont les points de fidélité sont gagnés et sur l’impact de ces programmes sur les ventes. En revanche, l’analyse de la rédemption des points est restée plus limitée, et encore plus rare est l’étude de l’impact de la variabilité des taux de change sur ce processus. Les auteurs expliquent que, bien que de nombreux programmes utilisent des taux de change fixes (ex. : 100 points = 1 dollar), il existe aussi de nombreux programmes avec des taux de change variables, en particulier dans l’industrie de l’hospitalité, où la valeur des points fluctue en fonction des offres. L’objectif est de comprendre comment cette variabilité influence la décision des consommateurs de dépenser leurs points ou leur argent.
Question de recherche
La question principale que posent les auteurs est la suivante : Comment la stabilité du taux de change entre points de fidélité et argent (fixe ou variable) influence-t-elle la propension des consommateurs à utiliser leurs points plutôt que de l’argent ? Ils explorent également les facteurs psychologiques sous-jacents, comme le biais d’optimisme, qui peuvent expliquer pourquoi les consommateurs réagissent différemment aux taux fixes et variables. De plus, l’étude examine des modérateurs tels que l’optimisme personnel et la date d’expiration des points, pour identifier les conditions dans lesquelles ces effets sont les plus marqués.
Méthodologie
Les auteurs ont adopté une approche expérimentale rigoureuse en menant une série de quatre études distinctes pour tester leurs hypothèses. Ces études comprenaient des expériences avec des choix incitatifs (où les participants avaient réellement la possibilité de gagner ou de perdre de l’argent ou des points), des simulations de situations de programmes de fidélité, et l’utilisation de données réelles de programmes de fidélité.
Étude 1 : Cette expérience a été menée dans un contexte de programme de fidélité universitaire. 453 étudiants ont participé et ont reçu un montant d’argent et de points de fidélité qu’ils pouvaient utiliser pour acheter des produits à des prix variables ou fixes. L’objectif était de comparer la rédemption des points sous des taux de change fixes et variables, tout en modifiant la visibilité de ces taux pour voir si l’effet se maintient uniquement lorsque le taux était observable.
Étude 2 : Ici, les auteurs ont testé l’effet de la stabilité du taux de change avec un cadre simplifié, en réduisant la complexité des choix offerts aux participants. L’étude a permis d’explorer si un biais d’optimisme (mesuré par des échelles psychologiques) était à l’origine des différences observées dans le comportement de rédemption.
Étude 3 : Cette étude a évalué comment l’optimisme des participants modérait l’effet du taux de change variable. Les chercheurs ont mesuré l’optimisme des participants à l’aide de tests psychométriques et ont examiné si un effort élevé pour accumuler des points ou des variations de prix influençaient le comportement de rédemption.
Étude 4 : La dernière étude a introduit la variable de l’expiration des points pour voir si des dates de péremption proches incitaient les participants à dépenser leurs points, même avec des taux variables. Les chercheurs ont examiné les interactions entre l’optimisme, la stabilité du taux de change et l’impact de l’expiration imminente des points.
Principaux résultats
L’un des résultats clés est le fait que les consommateurs sont moins susceptibles de dépenser leurs points lorsque le taux de change est variable par rapport à un taux fixe, même lorsque la valeur moyenne des points reste la même. Ce phénomène s’explique par un biais d’optimisme : les consommateurs pensent que les taux deviendront plus favorables à l’avenir, ce qui les conduit à reporter la rédemption.
L’étude a aussi montré que l’optimisme des consommateurs augmente sous un taux de change variable, car les individus tendent à surestimer la probabilité de voir de meilleures offres à l’avenir. Cet optimisme réduit la probabilité de dépenser des points.
Les résultats ont montré que le biais d’optimisme était plus fort chez les personnes naturellement optimistes (mesuré par des échelles de personnalité) et que cet effet était atténué lorsque les points avaient une date d’expiration proche. Cela suggère que l’expiration des points pousse les consommateurs à les utiliser plus rapidement, diminuant l’effet du biais d’optimisme.
La robustesse de ces résultats a été testée en variant le contexte (articles en vente, niveau de l’effort pour accumuler des points, et quantité de variations de prix), montrant que l’effet de la stabilité du taux de change sur la rédemption est consistant à travers différents scénarios.
Implications managériales
Les résultats de cette recherche ont des implications significatives pour les gestionnaires de programmes de fidélité.
Bien que la variabilité des taux offre de la flexibilité opérationnelle, elle peut réduire l’engagement des membres à court terme en les incitant à stocker leurs points. Pour les entreprises cherchant à maximiser la rédemption et à stimuler les ventes futures via l’effet de récompense, un taux de change fixe pourrait être plus avantageux.
Les programmes de fidélité qui souhaitent encourager l’utilisation des points peuvent envisager des dates d’expiration plus strictes. En réduisant l’optimisme quant à la valeur future des points, des politiques d’expiration peuvent augmenter la rédemption immédiate.
Les entreprises doivent être conscientes de la perception psychologique de leurs points de fidélité. En gérant les attentes des consommateurs à travers des stratégies de communication claires (expliquant, par exemple, les fluctuations des taux), les programmes peuvent influencer le comportement de leurs membres de manière plus prévisible.
Pour les programmes qui préfèrent maintenir une variabilité des taux, il pourrait être utile de cibler des segments de consommateurs plus optimistes ou de proposer des campagnes marketing spécifiques pour inciter à la rédemption pendant des périodes de faible valeur perçue.
Limites
La recherche s’est principalement concentrée sur des contextes de programmes de fidélité nord-américains, avec des participants provenant de milieux universitaires ou recrutés sur des plateformes comme Amazon Mechanical Turk. Ainsi, il est possible que ces résultats ne soient pas directement applicables à d’autres populations ou à des cultures ayant des attitudes différentes envers les programmes de fidélité.
Les simulations expérimentales, bien que contrôlées, ne capturent pas toute la complexité des programmes de fidélité en situation réelle, tels que les promotions multi-niveaux ou les stratégies de personnalisation dynamique. L’étude ne prend pas en compte certains éléments, comme la variation des préférences individuelles pour le risque ou l’impact de changements économiques (ex. : inflation) qui pourraient affecter la perception de la valeur des points de fidélité.”

