Articles de recherche, Programme de fidélisation

Mais pourquoi les consommateurs refusent-ils d’adhérer à mon programme de fidélité ?

Dans le dernRefus client programme fidélitéier numéro de la Revue Recherche et Applications en marketing (Vol 27, N°4/2012), Mariel El Euch Maalej et Dominique Roux nous livrent une analyse passionnante et approfondie des motifs de résistance des consommateurs aux programmes de fidélisation. En effet, bien qu’une grande partie des clients adhèrent aux programmes de fidélisation des enseignes, nombre d’entre elles constatent tous  les jours à quel point certains consommateurs sont réfractaires aux dispositifs proposés. A partir d’entretiens approfondis menés auprès de 40 individus se déclarant critiques vis-à-vis des programmes de fidélité, les auteurs caractérisent ces réticences profondes.


Cet article propose une lecture fondée sur la théorie des conventions, c’est-à-dire  « des règles générales qui, même si on ne s’y plie pas, constituent la référence acceptée de la même manière par tous, alors qu’une alternative pourrait être envisagée » (à partir de Lewis, 1969). Concernant le sujet traité ici, les auteurs expliquent que les programmes de fidélité sont également bâtis sur une convention. Les auteurs établissent qu’une « convention de logique calculatoire » (p.88) prévaut en matière de programme de fidélité. En effet il est admis que ces programmes procurent une utilité aux clients (privilèges et exclusivités), qu’ils sont construits dans l’intérêt même du client, que ce dernier est libre d’y adhérer et enfin qu’ils permettent une individualisation de la relation client pour le bien être de tous. Cet article s’occupe à déconstruire cette convention largement partagée et montre que les résistances des consommateurs sont une critique profonde de ces conventions établies : « Les programmes de fidélisation sont moins rejetés pour leurs caractéristiques intrinsèques (Frisou et Yildiz, 2009), que pour les contradictions internes que comporte la co-existence de logiques calculatoires, domestiques et industrielle […] » (p.87).
Plus précisément l’analyse fait apparaitre une série de grandes critiques faites par ces consommateurs à l’encontre des programmes de fidélisation suscitant leur rejet (ce dernier se caractérisant par un refus systématique d’adhérer ou à une non utilisation /  présentation de la carte en boutique).
Cinq familles de critiques des programmes de fidélité par les clients réfractaires apparaissent :

–    (1) Les programmes de fidélité incitent à  consommer plus et contre le gré des clients

Il y a chez ces clients réticents une croyance selon laquelle les programmes de fidélité ôtent leur rationalité aux consommateurs en les privant de choix et de comparaison avec la concurrence. Également les clients suspectent les enseignes de leur faire payer indirectement le cadeau ou la gratification proposée en échange de la fidélité (« ils vous font croire que c’est gratuit mais ça ne l’est pas »). Les clients perçoivent que ces cadeaux ne sont qu’une gratification obtenue en échange de précieuses données personnelles récoltées via le programme.

–    (2) Les programmes de fidélité sont contraires à la nature de la relation à l’enseigne : une relation purement marchande

Les clients les plus réfractaires estiment que la fidélité ne rentre pas dans un cadre d’échange marchand. La fidélité doit, selon eux, rester réservée au domaine des relations familiales, amicales, privées et ne peut en aucun cas s’appliquer à une enseigne. Ces clients estiment que leur fidélité à une enseigne ne s’explique que par le « respect d’une promesse de base – un bon produit, du service, une relation de qualité ». En conséquence ils rejettent tout registre affectif qui les conduirait à fréquenter un commerçant pour toute autre raison.

–    (3) Les programmes de fidélité ne sont pas éthiques et solidaires

Les clients rejettent les programmes de fidélité au nom des gaspillages qu’ils génèrent  (prospectus par ex.), des iniquités  sociales qu’ils engendrent (incitation au surendettement des ménages les plus pauvres) ou des bénéfices qu’ils sont susceptibles de procurer à la « grande distribution ». Il s’agit donc plus largement d’un rejet vis-à-vis d’un système de distribution.

–    (4) Les programmes de fidélité sont une entrave à la liberté des consommateurs

Les clients dénoncent ici la privation de liberté qu’ils attribuent aux programmes de fidélité. D’une part parce qu’ils se sentiraient « obligés » de fréquenter tel point de vente, qu’ils se sentent coincés de vivre telle expérience et d’autre part parce qu’ils se sentent « épiés », espionnés, suivis par le traçage des données. Également le fait d’anticiper, et d’avoir sur soi, sa carte est vécu comme une privation de liberté !

–    (5) Les programmes de fidélité instaurent des relations froides et impersonnelles à l’enseigne

Les personnes interrogées soulignent les dérives d’une gestion automatisée des clients parfois induite par la mise en œuvre des programmes de fidélisation. En effet la proposition systématique d’une carte par un vendeur souligne le caractère impersonnel de la relation à l’enseigne (« parce que les gens ne nous connaissent pas »), de la même façon les diverses sollicitations reçues (mails, courriers, SMS …) suite à l’adhésion à un programme sont vécues comme du « harcèlement » et cela entretient un sentiment de rejet à l’égard des programmes en général.

Quels enseignements les enseignes peuvent-elles tirer de cette étude approfondie ?

Bien que cette étude qualitative exploratoire ne prétende pas à la représentativité des clients, plusieurs enseignements peuvent en être retirés.

(1)    Ces consommateurs réfractaires ne sont pas infidèles

On lit dans ces témoignages que c’est avant tout le système de la carte de fidélité qui est critiqué et pas la fidélité elle-même. Pour ces consommateurs la fidélisation est possible et ne se fonde que sur la qualité de la relation, la qualité du produit et la capacité de l’enseigne à tenir ses promesses de base.

(2)    Instaurer un « parler vrai » dans les programmes de fidélisation

Détourner le vocabulaire affectif (cadeau, gratuit, gratification) dans un cadre purement marchand n’est pas toujours  bien perçu par les clients. Au contraire, pour ces clients réfractaires, assumer que le programme de fidélité sert aussi les intérêts de l’entreprise c’est rentrer dans une relation plus transparente et moins faussée.

(3)    (re) instaurer un échange humain personnalisé entre le vendeur et son client

Les auteurs recommandent de mieux former le personnel de vente à reconnaitre leurs clients et à instaurer une relation plus en adéquation avec ses attentes (être reconnu personnellement, pouvoir négocier au cas par cas …)

(4)    Redonner de la liberté au consommateur

Les auteurs recommandent de « reconnaitre et accepter la multi fidélité », de ne pas enfermer un consommateur dans un programme et de faciliter la sortie du consommateur des programmes de fidélité pour diminuer le sentiment d’aliénation parfois exprimé par les clients réfractaires.

(5)    Donner aux programmes de fidélité une orientation plus solidaire

Il s’agit ici de redonner du sens aux programmes de fidélité en permettant par exemple d’amener le consommateur à soutenir un projet humanitaire, solidaire grâce à sa fidélité.

Sources

El Euch Maalej M. et Roux D. (2012), Répertoires de critiques et conflits des mondes : une approche conventionnaliste des programmes de fidélisation, Recherche et applications en marketing, Vol 27, N°4, p.60-94.

Frisou J. et Yildiz H. (2009), Mieux comprendre l’apprentissage des programmes de fidélité : vers un modèle intégrateur, Actes des 14e journées de recherche en marketing de Bourgogne, Dijon.

Lewis, D. (1969), Convention : A Philosophical Study, Cambridge (USA), Harvard University Press.

 

Synthèse réalisée par Juliette PASSEBOIS

Article précédent Article suivant

Vous aimerez aussi